« Globaliser le « travail du sexe » : usages scientifiques situés d’une catégorie engagée »

MARIE-ASTRID GILLIER. Doctorante en sociologie en troisième année à l’université Lyon 2 sur le sujet « migration et prostitution : le cas des migrantes chinoises peu qualifiées à Paris et à Pékin ». Elle a déjà effectué deux enquêtes de terrain de six mois à Pékin et est bénévole au Lotus Bus à Paris.

Axe : Théorie et pratique

Mots-clefs : travail du sexe ; France ; Chine ; globalisation ; subjectivation

Résumé : « Cette communication interroge le caractère situé de la construction scientifique de la catégorie de « travail du sexe » dans les sociologies française et chinoise, ainsi que les effets produits par ses usages sur les manifestations organisationnelles du phénomène prostitutionnel.
En France comme en Chine, la catégorie de « travail du sexe » est mobilisée par les chercheur-se- dans le cadre de luttes de définition du « problème de la prostitution » sur les scènes politiques nationales. Revendiquant un engagement féministe, les chercheur-se-s qui la mobilisent sont engagés dans un travail d’institution [Bourdieu, 1986] de cette catégorie face à des contre-problématisations concurrentes [Simonin, 2016]. C’est la pertinence de cette catégorie pour rendre compte des rapports de pouvoir à l’œuvre dans la prostitution qui est débattue par les communautés scientifiques ici et là-bas, mais également les effets que cette catégorisation est susceptible de produire sur ces rapports de pouvoir [par exemple Pheterson, 1990 ; Ding et Ho, 2008].
Cependant, les enjeux attachés à ces luttes de définition ne sont pas équivalents dans les deux contextes. Si les chercheur-se-s chinois qui mobilisent la notion de travail du sexe revendiquent la reconnaissance légale de cette industrie, ces prises de positions sont fondées sur des analyses pragmatiques des effets positifs de cette légalisation en termes de ressources disponibles pour les personnes qui se prostituent, à partir de descriptions des modes d’organisations institués de la prostitution. En France en revanche, la charge de revendication politique attachée par certains chercheur-se-s à la catégorie de travail du sexe est beaucoup plus lourde et comporte une dimension programmatique qui rejoint le développement sur le terrain d’un projet militant : le travail d’institution de la catégorie de « travail du sexe » ne vise pas seulement sa reconnaissance légale mais plus fondamentalement la constitution d’un groupe subalterne en collectif capable de revendiquer des droits. Il ne s’agit donc plus seulement de modifier les conditions d’exercice de la prostitution, mais de transformer l’expérience de la prostitution en expérience de subjectivation politique. Ces projets, de même que les postures d’engagement -l’articulation entre théorie et activité militante d’une part et la vision de la science qui en découle – des chercheur-se-s qui y prennent part, sont étroitement situés.
Dans un contexte où les études sur la « transnationalisation de l’industrie du sexe » [Lieber, 2013], sa « globalisation » [Ehrenreich et Hochschild, 2003] et même sur la globalisation des mobilisations des travailleurs et travailleuses du sexe [Kempadoo et Doezema, 1998] se multiplient, cette réflexion sur l’articulation entre catégories, enjeux politiques, et postures épistémologiques est essentielle. Elle pose la question de la transposition de catégories élaborées dans un contexte local et national pour rendre compte de processus de plus en plus complexes dont les effets dépassent les frontières nationales [Roulleau-Berger, 2012], mais également de la transposition de postures d’engagements du chercheur qu’impliquent la transposition de ces catégories. Je tenterai de dessiner une esquisse d’un usage à la fois critique et pragmatique de la catégorie « travail du sexe » en contexte globalisé. »