« Les apports de la théorie féministe matérialiste à l’économie politique : nouveaux concepts, nouvelles questions et nouveau programme de recherche ? Un exemple à partir de l’étude de la pauvreté »

IRENE BERTHONNET. Maîtresse de conférence en économie (laboratoire LADYSS, université Paris Diderot). 

Axe : La proposition s’inscrit plutôt dans l’axe III Sciences Politiques, à la fois parce que l’économie est également une science de l’Etat et du gouvernement, et aussi parce que la question globale est aussi celle de repenser les catégories de la discipline par les questions soulevées par le genre.

Mots-clefs : économie politique ; pauvreté ; mode de production domestique ; statistique publique

Résumé : « La théorisation féministe est quasiment absente en économie. L’économie standard a intégré depuis quelques décennies une dimension du « genre » dans son cadre théorique (Becker 1981) mais sans revisiter ses concepts ni ses résultats. Pourtant, de nombreuses recherches féministes menées dans le cadre d’autres sciences sociales interpellent l’économie en soulignant notamment les limites de ses concepts. L’objectif de la contribution est de montrer que les recherches féministes – particulièrement matérialistes – en provenance d’autres sciences sociales font apparaître un certain nombre de biais caractérisant l’économie comme discipline et appellent une activité de re-théorisation.
On s’intéressera ici spécifiquement au concept de pauvreté pour montrer que la construction théorique et statistique du concept est à la croisée de nombreuses autres catégories de l’analyse économique (revenu, activité, emploi…) et une analyse féministe de ces catégories montre que celles-ci ne sont pas forcément « bien » définies. En effet, la définition et la mesure de ces concepts est pensée pour une économie essentiellement masculine et ne prend pas bien en compte la situation spécifique des femmes. Notamment, le traitement de la pauvreté par la statistique publique contribue à sous-estimer largement la pauvreté des femmes (Ponthieux, 2005).
D’un autre côté, la théorie féministe matérialiste fait apparaître des enjeux de définition de concepts qui sont invisibles pour les économistes : on pense notamment au travail ménager et domestique chez Delphy. Cela soulève ensuite des interrogations qui devraient être déterminantes pour l’économie politique, telles que celle de savoir s’il y a une économie domestique qui s’intègre dans un mode de production (domestique ou patriarcal) distinct du capitalisme (Delphy, 2013 ; Guillaumin, 1978), dans lequel les femmes seraient une classe exploitée non par les capitalistes mais par la classe des hommes.
En croisant ces deux apports venus des recherches féministes, on peut alors définir un nouveau programme de recherche consistant à redéfinir et remesurer le concept de pauvreté. La contribution conclura par une présentation de cette recherche en cours pour montrer qu’elle s’inspire directement des travaux féministes matérialistes théoriques. Ceux-ci ont donc permis d’ouvrir un programme de recherche en économie qui s’adressent à ceux/celles qui essayent de faire une économie féministe mais aussi à ceux/celles qui essayent de penser les clivages économiques dans toutes leurs dimensions. »

Becker, G. 1981. A Treatise on the Family. Harvard University Press.
Delphy, C. 2013. L’ennemi principal. 1, Économie politique du patriarcat. Paris, France: Éd. Syllepse, DL 2013.
Guillaumin, C. 1978. « Pratique du pouvoir et idée de Nature 1. L’appropriation des femmes ». Questions féministes 2: 5‑30.
Ponthieux, S. (2005). « Les travailleurs pauvres : identification d’une catégorie », Travail, Genre et Sociétés, n° 11, pp 93-107